Petit conte

Le charme du Prince Miteux

 

 

Cette histoire est la suite inédite de l’un de ces merveilleux contes, dont chaque enfant connaît la fin, invariablement décrite comme follement heureuse pour les deux époux promis à un destin royal ainsi qu’à un avenir parental particulièrement épanouissant.

Hélas, le roi d’Ugly et sa tendre épouse connurent une déception peu commune aux personnages de contes lorsque la Reine d’Ugly mit au monde leur premier fils. Au lieu du bel enfant aux joues roses et aux mèches blondes semblable à la gravure finale qui scellait l’histoire de leur rencontre, le bébé qu’on présenta à la Reine avait la peau plissée, un teint d’olive et un duvet sur le crâne qui annonçait une chevelure fournie d’un noir corbeau. Aveuglée par la honte et le chagrin, la Reine tenta de protester et dénonça un échange de bébé, mais on lui souffla qu’elle avait accouché seule dans ses appartements privés et que, dans ces conditions, on ne voyait guère comment une substitution aurait pu intervenir… Malheureusement, ajoutaient les moins diplomates…

Les infortunés parents tentèrent de croire au miracle, imaginant que le vilain petit canard allait devenir le plus beau des cygnes du royaume, mais en vain. Au lieu de cela, le petit Prince confirma à chaque stade de sa croissance toutes ses particularités physiques, au point que ses parents envisagèrent un recours en justice contre l’auteur du conte, pour « happy ending mensonger ». Leur avocat leur déconseilla une telle procédure, préférant miser sur les qualités morales du jeune Prince, qui, comme dans tout conte de fée, finirait bien par faire ses preuves en développant le caractère chevaleresque, galant et aventurier attendu d’un héritier royal. Mais là encore, la déception fut immense. En dépit des multiples sollicitations parentales, le petit Prince ne manifesta aucun intérêt pour les activités équestres et s’endormait à l’écoute des récits d’exploits princiers. Comble de la consternation : l’on découvrit, lors d’un stage d’entraînement au sauvetage d’une demoiselle en détresse, que le Prince souffrait d’une terrible allergie au soufre, pathologie qui s’avéra handicapante pour triompher du dragon et accéder au donjon.

De dépit, le Roi sombra bientôt dans une profonde dépression, qui l’amena à développer un penchant excessif pour le Cointreau et la Manzana, tandis que la Reine consacrait tout son temps et son énergie à essayer de comprendre et résoudre l’énigme de ce Prince, que le peuple ne tarda pas à surnommer « Miteux ». On chercha des tares familiales, des incompatibilités génétiques susceptibles d’expliquer cette incongruité au pays des contes. Mais l’arbre généalogique du Roi et de la Reine d’Ugly ne comptait que de preux chevaliers, de magnifiques princesses et quelques petits elfes tous plus doués les uns que les autres. Miteux, lui, ne possédait aucun don. C’est, du moins, le discours qu’il avait toujours entendu ou lu à son propos, jusque dans la presse, où ses contre-performances suscitaient des titres narquois : « le Dauphin est un marsouin ! ». En effet, Miteux, conscient de décevoir, ajoutait à son physique peu avantageux une attitude maladroite, nonchalante et complexée, qui alimentaient les commentaires acerbes au sein de la population.

Le problème du charisme populaire de ce pauvre Miteux s’accrut à l’adolescence, lorsqu’il fut question d’envisager des noces royales. Incapable d’aller pourfendre la moindre bête mythique, le moindre cerbère aux portes d’une haute Tour, le Prince n’avait plus qu’à espérer qu’une jeune fille –de préférence, une princesse, serinait la mère– le séduise et accepte de l’épouser. Après tout, un tel scénario avait déjà abouti au mariage de Cendrillon, conte dans lequel un Prince ne s’était pas embarrassé non plus de l’option « épreuves initiatiques » pour se contenter de choisir sa promise parmi toutes les jeunes filles à marier du royaume . « Un choix obscur, d’ailleurs, fondé sur un critère incompréhensible, qui relevait davantage du délire obsessionnel de type monomaniaque relatif au port d’une paire de chaussures taille unique, aussi chères qu’inconfortables, mais bref … », disait la Reine, qui s’exaspérait facilement lorsqu’on abordait le sujet… Trouver la future reine d’Ugly, qui acceptât de devenir Madame Miteux, relevait indiscutablement de la gageure. Il faut dire que Miteux ne faisait rien pour améliorer son image. Se sentant mal-aimé par sa famille et raillé par le peuple, il n’appréciait que la compagnie des bouffons et des troubadours, avec qui il apprenait secrètement l’art du mime et de la représentation scénique. On le disait même assez performant dans l’art d’imiter les gens de la cour, de manier les mots et de faire des claquettes.

Ce n’est pas avec tes pitreries que tu séduiras Dame Cala, qui a accepté de te rencontrer demain, pestait la Reine, qui avait dû négocier au prix fort la visite officielle de la prétendante. 

En effet, la prédiction maternelle se révéla exacte : la rencontre Cala-Miteux donna naissance à un adjectif qui désigne depuis lors un événement de nature catastrophique.

 

Les années passèrent. Miteux apprivoisa son image de Prince décalé et gagna peu à peu la sympathie populaire en assumant son image de « Marsouin ». Il publia ainsi un article dans lequel il clamait :« Le Dauphin a le dos large ! », assorti d’une caricature qu’il avait lui-même dessinée et qui lui valu un grand respect dans le monde des caricaturistes. Il devint le protecteur et amis des saltimbanques, qu’il préférait aller voir au théâtre de rue plutôt que de les recevoir dans l’univers clos du Palais.

Au Palais, justement, si l’on se réjouissait de ce regain de faveur populaire, l’on se lamentait aussi sur le caractère jugé trop léger du futur monarque et ses apparitions scéniques dans des pièces de troubadours. Et l’on désespérait qu’un tel clown ne trouvât un jour une femme disposée à l’épouser.

Et pourtant… Un soir d’hiver, tandis qu’il quittait le petit Théâtre Populaire des Neuf Troubadours après une représentation des plus hilarantes, le Prince remarqua une jeune femme postée devant l’entrée des artistes, qui tenait au creux de ses mains un cornet de marrons chauds. Le Prince ne sut jamais expliquer pourquoi, lui si timide, il engagea si promptement la conversation avec cette jeune personne et surtout comment elle, après l’avoir vu faire tomber trois fois ses clefs, bafouiller et rater le trottoir en voulant s’approcher d’elle, accepta néanmoins de le revoir le jour suivant.

Or comme convenu, le lendemain, la jeune femme retrouva le Prince à la taverne des Elfes à Corne. Ils prirent l’habitude de se retrouver là, de se rendre au théâtre, de flâner en ville en dévorant des marrons chauds et de rire ensemble pendant des heures. Ils furent bientôt connus de tous comme le couple le plus étrange mais aussi le plus heureux du royaume. On disait le Prince transformé par cette relation, plus ouvert, plus confiant, débordant d’énergie. Quant à sa compagne, elle s’estimait très heureuse d’avoir tous les jours une occasion nouvelle de rire en compagnie du plus amusant des hommes.

La veille de présenter l’heureuse élue à ses parents, Miteux prépara le Roi et la Reine à affronter une nouvelle déception.

Elle n’a ni pouvoir particulier, ni beauté exceptionnelle, déclara sobrement le Prince. Elle me plaît, c’est tout. Et, chose plus incroyable encore, je lui plais…

Un vrai conte de fées ! postillonna le Roi au bord de l’apoplexie. Et a-t-elle un nom, cette demoiselle si désespérément ordinaire ?

Elle s’appelle Dina, répondit Miteux, et avec elle, je me sens capable de pulvériser des montagnes !

Le lendemain, interrogée à son tour sur le choix de son futur époux, Dame Dina répondit le plus simplement du monde :

Je n’ai jamais cru au mythe du Prince Charmant, mais je trouve beaucoup de charme au Prince Miteux.

Dina et Miteux annoncèrent rapidement leur intention de renoncer au trône et de partir s’installer loin du Palais, Miteux pour échapper à ses royales responsabilités auxquelles il se sentait fondamentalement étranger et Dina pour s’épargner le cauchemar de supporter un beau-père alcoolique et une belle-mère névrotique.

Ils s’en allèrent vivre  ensemble leur vie de saltimbanques et hésitèrent longtemps avant de finalement renoncer à avoir des enfants dans ce monde de névrosés. Ils ne connurent pas non plus une extase quotidienne, mais apprécièrent d’assister de temps à autre à un spectacle de troubadours ou encore de déguster des marrons chauds en hiver.

 

 

 

 

 

 

 

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