L'effet d'annonce
Bonjour, les minounautes, ça va ? La question peut sembler anodine, mais elle ne l’est pas. Pendant des années, j’ai pu y répondre avec conviction par un très jovial : "Super ! La forme ! Et toi ?" Et puis un jour… Il a fallu expliquer à mon entourage, mes amis, certains collègues, que j’allais –disons- moyennement bien pour cause de cancer. Je me mets volontiers à leur place : ce ne fut pas facile à entendre. Que dire ? Comment être utile ? Comment ne pas faire de gaffes ? Comme dit la chanson, dans ces moments-là "on ne fait jamais la gueule qu’il faut". Alors, à l’instar de la Bruyère (le talent en moins, hélas), je me lance dans l’exercice périlleux du portrait afin de vous présenter quelques spécimens croisés sur mon parcours (du combattant).
- Le pétochard : une vaste catégorie qui englobe environ 80% de l’entourage. Le pétochard est celui qui, à l’annonce de votre maladie, se rappelle soudain qu’il a piscine et disparaît corps et biens sans vous donner la moindre nouvelle.
- Le plaisantin : celui-ci n’est pas le mauvais bougre, bien au contraire. C’est celui qui connaît votre humour et cherche à dissimuler sa peine et son angoisse à travers ce que l’on nomme "la politesse du désespoir". Sa phrase : (apprenant que vous avez rechuté) "Ah ! Ah ! Sacré toi ! Alors, comme ça, tu as pris un abonnement au cancer ?" Bien tenté, mais très maladroit. La règle d’or : laisser l’humour à l’initiative du malade. Ne surtout pas chercher à être drôle sur un sujet qu’on ne maîtrise pas.
- L’inconscient : en voilà un, au moins, qui n’est pas prostré de chagrin. Celui-ci ne mesure pas du tout la gravité de la situation. Sa phrase : "Ah. Le cancer, d’accord. Bon. Mais, sinon, ça va ? Et tu reprends le boulot quand, alors ?" Résister à l’envie de lui vider le fond de teint sur la tête. Juste se dire que le déni est très difficile, voire impossible à contrer. Bilan : laisser tomber.
- Le trader : il pratique la surenchère –enfin, il essaie. Sa phrase : "Ah, mais moi aussi, j’ai souffert. L’été dernier, j’ai eu un ongle incarné. Une horreur ! Une douleur à crever !" Catégorie qui se situe précisément à mi chemin entre l’inconscient (ci-dessus) et le discourtois (ci-dessous).
- Le discourtois : en associant les caractéristiques du plaisantin et de l’inconscient, celui-ci flirte carrément avec le mauvais goût. Sa phrase : "Ah, c’est ton anniversaire ! C’est que tu ne rajeunis pas, hein ?" C’est vrai que sous Charles-le Chauve, 35 ans, c’était un âge canonique…. Mais face à quelqu’un qui vit chaque jour comme un sursis et qui sait pertinemment qu’il ne connaîtra jamais la retraite, ni à 60 ans, ni a fortiori plus tard, parler de vieillissement, c’est plus que marcher à côté de ses pompes, c’est se montrer carrément goujat.
- Le catastrophé : celui-ci n’a pas de phrase car sa caractéristique première est de ne pas vous parler. Il ne fait que vous observer d’un air affligé si bien que dans son regard, vous vous voyez déjà mort. De profundis ! Avec lui, c’est déjà le monde du silence. A fuir absolument.
- Le coach : à l’inverse du catastrophé, le coach veut vous transmettre son peps. Sa phrase : "Bon, tu fais quoi de tes journées ? Faut surtout pas te laisser aller, hein ? Tu te lèves, le matin, tu te fixes des objectifs et tu y vas ! La gagne !" Et là, du fond de votre canapé, vous lui lancez un regard trouble qui, en style télégraphique, se résumerait à peu près à ceci : "Ensemble des fonctions en mode survie STOP Tout effort supplémentaire actuellement inenvisageable STOP".
- Les administratifs : malheureusement incontournable, cette catégorie regroupe bon nombre de bipèdes-machines avec qui les échanges ne se réduisent qu’à ceci : "Vous n’avez pas coché la case B2 du formulaire A33 pour l’obtention de votre Congé longue maladie. On va vous renvoyer les papiers, mais ça risque de retarder le traitement de votre dossier d’au moins deux mois !" Se retourner sur son lit d’hôpital et se dire que ça ira (peut-être) mieux demain.
- L’abruti : difficile de l’éviter (encore une catégorie qui regroupe de nombreux individus !). Ne sait pas de quoi il s’agit mais veut causer quand même. Sa phrase : "Comment t’as chopé ça ?". Eh oui, en France, au XXIe siècle, certains pensent encore que le cancer est une maladie qui "s’attrape" comme le choléra… Et peut-être même que c’est contagieux. Seule réponse possible : "je ne sais pas où j’ai chopé ça, mais je sens que si je continue à traîner par là, je pourrais bien choper la débilité chronique aiguë…"
Et enfin, la palme absolue de la stupidité, tout en haut du podium où merdoient les suffisants boursouflés de connerie crasse, voici une réplique unique : "Quand on est malade, il faut se poser des questions, parce que rien n’arrive totalement par hasard… C’est sûrement qu’on l’a mérité." Un collector hors-catégorie qui se passe de (mes) commentaires.
Il n’y a pas de mots justes ou de têtes de circonstances en pareils moments, au contraire. J’assimile volontiers la maladie à un sérum de vérité. Quand on se promène bras dessus bras dessous avec la camarde, on n’a plus le temps pour les petites contrariétés et les grosses hypocrisies. Only the very best !
Ici, un specimen joyeux du type "Boostis Moralis" lors d'une visite en chambre stérile pendant mon autogreffe.
Et là, le cauchemar de mes jours et de mes nuits, une machine à laquelle j'étais constamment reliée et qui avait la sale habitude de couiner en pleine nuit. Infernal complot des choses contre les êtres !
Et bien sûr... absents des ordonnances mais indispensables à la convalescence : mes chats-pitres !
Un film qui analyse très finement le sujet de la maladie et des relations sociales : Deux jours à tuer, de Becker.
Combien de temps encore ?... Mon pays, c'est la vie ! J'ai pas fini ! J'ai pas fini !
Chanson de Reggiani + photos du film de Becker Deux jours à tuer (Attention, émouvant !)
Un film qui analyse très finement le sujet de la maladie et des relations sociales : Deux jours à tuer, de Becker.
Chanson de Reggiani + photos du film de Becker Deux jours à tuer (Attention, émouvant !)