Valse mélancolique et langoureux vertige !
Graffiti : Je fais bien la "valse mélancolique", hein ?
Miss Tigri : Oui, attends... Moi, je vais te faire le langoureux vertige. Accroche-toi !
Amis de l’ivresse poétique, bonjour. A l’heure où certains cherchent l’étourdissement par tous les moyens, y compris les plus onéreux, je suis heureuse de pouvoir faire partager une petite expérience de sensations fortes qui défie toute explication médicale.
Tout commence, non pas un beau jour mais une belle nuit. Signe particulier : aucun. Je dormais du sommeil du juste quand soudain, je me sens aspirée dans une sorte de rapide tourbillon, façon Dorothy dans le Magicien d’Oz… J’ouvre les yeux, le temps d’apercevoir le plafond de ma chambre qui s’amusait à tourner en rond. J’entreprends alors de me lever, histoire de vérifier que je n’étais pas victime d’une petite erreur de pilotage automatique côté cerveau… Mission impossible ! Bon. Il fait encore trop sommeil pour tenter de comprendre. Je me rendors en me promettant d’étudier la question dès le lendemain. Mais au matin, rude réveil… A peine la tête décollée de l’oreiller, c’est la farandole des meubles, la valse des objets familiers, ma chambre transformée en vaste circuit de formule 1. Quelques secondes et tout se stabilise à nouveau. Je mets un pied à terre avec prudence. Drôle de vertige ! Moi qui suis la sobriété même… A peine un verre de Muscat lors des grandes occasions, juste histoire de faire honneur à la production locale… Autant dire une consommation parcimonieuse qui ne peut pas générer cette désagréable sensation d’être jetée dans une bétonnière comme une vulgaire poignée de gravier… M’enfin !
Et la journée s’écoule sans heurt… jusqu’à l’heure du coucher. A peine la tête posée sur l’oreiller, c’est à nouveau le grand manège. Space Mountain, le retour ! Et hop ! Un tour gratuit ! Je cherche bêtement à m’accrocher aux draps, au bois du lit… Inutile. Rien n’a bougé. La stupeur se mue en courroux. Dites donc ? Qui est-ce qui s’amuse avec la télécommande, là-haut ? Quel est le rigolo qui a branché les fils de l’équilibre sur le boîtier de la vitesse ?
Et les jours passent, et mon équilibre demeure toujours aussi précaire… Le phénomène s’aggrave et me voilà qui peine à effectuer le moindre mouvement. Le simple fait de tourner la tête d’un côté ou de l’autre déclenche une sensation de tournis. C’est donc en titubant que j’arrive chez mon médecin, à qui je m’empresse de déclarer ma sobriété, en dépit de ma démarche chancelante et à qui je demande des explications sur cet étrange état qui me transforme depuis quelques jours en silhouette zigzagante…
Eh bien, chers amis, apprenez que si la science ne vous soigne pas, elle se fait toujours un point d’honneur à mettre un nom sur vos souffrances (ou, si vous préférez, à mettre des mots sur vos maux). Ces symptômes ont donc un nom (visez un peu l’élégance !) : le vertige paroxystique positionnel bénin. Et alors, me direz-vous ? Et alors, rien. Après consultation d’un spécialiste (en l’occurrence un ORL) et prises de renseignements un peu partout, j’en arrive à la même conclusion : rien. Ils ne savent rien sur ce qu’ils appellent si pompeusement le vertige paroxystique positionnel bénin. A y regarder de plus près, cette appellation est un savant mélange de glose médicale à laquelle on a rattaché l’adjectif "bénin" afin de ne pas affoler les foules. Pour tenter d’apaiser les patients atteints de ces curieux symptômes, plusieurs solutions, dont je vous laisse apprécier la pertinence scientifique. Tout d’abord, le Tanganil ou son équivalent générique : si vous avez la curiosité de chercher quel est l’effet de la substance active (l’acétylleucine), vous trouverez cette mention : "antivertigineux dont le mécanisme d’action n’est pas connu"… Mon médecin me l’a d’ailleurs prescrit en précisant : "si ça ne vous fait pas de bien, ça ne vous fera pas de mal !" Quant à l’ORL, après avoir mesuré l’ampleur de mon désarroi suite à un mois de traitement inutile, il a préconisé le recours à "la manipulation libératoire", ce qui, en langue vernaculaire, revient à secouer le patient comme un prunier en priant pour que le véritable foutoir au sein de l’oreille interne finisse par se réorganiser tout seul… Pour reprendre la formule de Desproges, qui vantait déjà, il y a plus de vingt ans, les étourdissants bienfaits de la médecine, sans laquelle nous ne pourrions pas "profiter de notre cancer plus de cinq ans", je conclurais par cette question rituelle : étonnant, non ?